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Logistique : le transport de marchandises est l’angle mort des politiques de mobilité

Le transport de colis et les livraisons alimentaires, en très forte croissance se font essentiellement avec des véhicules diesel ou polluants. Elles offrent des pistes d’amélioration trop souvent négligées des politiques de mobilité dans les villes.

C’est une révolution dans la lutte contre la pollution de l’air : l’Organisation mondiale de la Santé vient d’abaisser radicalement ses seuils recommandés pour les principaux polluants de l’air. Ils ont été divisés par 4 pour le NO2 et par 2 pour les PM2.5. D’un seul coup, la quasi-totalité de la population urbaine européenne est passée dans le rouge : elle habite dans des zones exposées aux dépassements de ces seuils recommandés et dans lesquelles sa santé est donc menacée.

La pollution de l’air n’est pas pire aujourd’hui qu’hier – elle a même plutôt tendance à s’améliorer. Mais ce changement drastique en termes de seuils signe la gravité de la situation. L’OMS prend au sérieux la qualité de l’air. Selon les chiffres de l’institution, celle-ci est responsable de 7 millions de morts par an dans le monde – plus que la Covid. En France, elle tue entre 40 et 100 000 personnes chaque année selon les estimations : soit l’équivalent d’une ville moyenne française rayée de la carte.

Enjeu

Face à cette situation, face à cette urgence sanitaire, impossible de continuer comme avant, même en mieux. Il faut de nouveaux outils, de nouveaux leviers. L’un d’entre eux est l’amélioration de la logistique urbaine. Jusqu’à présent, dans les débats sur la mobilité, l’attention se focalisait sur les déplacements des particuliers. C’est le cas avec les ZFE qui deviennent obligatoires dans les villes de plus de 150 000 habitants. Mais l’enjeu est ailleurs : dans le transport professionnel. 1 milliard de colis sont désormais livrés chaque année en France, soit 4 millions de colis par jour. Et ce nombre croit rapidement.  En 2020, avec la Covid, les livraisons alimentaires ont augmenté de 43 % en France, les livraisons non alimentaires de 18 %, et les commandes en ligne de marques disposant de commerces « physiques » de 41 %,  selon un récent rapport sénatorial. Toutefois, souligne le rapport « le transport de marchandises demeure l’angle mort des politiques de mobilité »

Or l’essentiel de ces livraisons se fait avec des véhicules diesels – souvent plus de 95 %. A tel point que la livraison compte désormais pour un quart ou un tiers des polluants urbains selon les modes de calculs. [1]

Opportunités

En zone urbaine dense, changer les mobilités repose sur trois segments : tout d’abord, les deux-roues motorisés : 36 % des livreurs instantanés (les autoentrepreneurs pour UBER EATS, Deliveroo, Stuart etc.) utilisent des scooters, parfois des modèles très anciens et donc polluants. Très peu sont électriques. La plupart pourraient être remplacés par des vélos à assistance électriques, moins polluants et plus silencieux – un aspect majeur en ville.[2]

Ensuite, viennent les très nombreux véhicules utilitaires légers (VUL). Même si l’on reste dans des parts de marché assez faibles pour l’électrique, une dynamique claire est observée avec une augmentation nette, en 2020, des immatriculations.  Certaines entreprises montrent la voie dans l’amélioration des livraisons : depuis 2019, Chronopost a passé intégralement ses livraisons en mode « propre » dans presque 20 villes françaises. Le changement est possible !

Dernier segment, les poids lourds. Ils représentent un tiers des livraisons en ville et restent essentiels, car ce sont des outils de massification des flux, donc un outil d’optimisation. Les alternatives électriques restent trop couteuses et trop peu performantes. Mais on peut passer au bio GNV, qui émet 80 % de moins de NOx et de CO2 que le diesel !

Propositions

Diverses propositions ont déjà été faites pour soutenir une transformation durable de la logistique, par exemple pour l’aide à l’acquisition des véhicules électriques (bonus écologique, suramortissement, prime à la conversion),… Mais il manque encore, une vision globale, nationale, et une prise de conscience des acteurs locaux.

A l’échelle nationale il faudrait mettre en place une vision à moyen terme, pour encourager les acteurs vertueux et les aider à tirer vers le haut le secteur. Il faudrait harmoniser les règles et les rendre visibles sur tout le territoire (les règlementations peuvent être très diverses d’une ville à l’autre).

Au niveau local, il faudrait encourager le dialogue (qui a déjà commencé) sur les moyens d’intégrer la logistique urbaine dans les centres-villes, et sur l’accès au foncier afin que les points de départ du dernier kilomètre soient au plus près et au plus proche de nos destinataires.

Tout cela est possible. C’est aussi nécessaire si l’on veut réellement lutter contre la pollution en ville. C’est-à-dire pour assurer aux Français et aux Françaises qui habitent en zone urbaine – 80 % de la population – un air respirable, et des niveaux de bruit supportables. La plupart des grands acteurs du secteur y sont prêts.

Olivier Blond – Institut Brunoy

Tony Renucci – RESPIRE

Ce texte a été publié dans Le Monde le 16 octobre 2021


[1] Transport de marchandises face aux impératifs environnementaux – http://www.senat.fr/rap/r20-604/r20-604_mono.html#toc0

[2] Respire – 20 propositions. A paraître.

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