Catégories
Etudes

Contre la décroissance : une écologie de l’offre

La décroissance vise à diminuer la demande. Une autre écologie est possible, qui vise à améliorer l’offre. Cela permet, aussi de formuler de manière cohérente une écologie différente, à droite : une écologie industrielle et de relocalisation.

1        Décroissance

La décroissance est devenue le concept phare de l’écologie contemporaine, la base de son crédo à gauche. Le mot recouvre en fait une grande diversité de d’acceptations, plus ou moins radicales. Les divergences portent souvent sur cette question : décroissance de quoi, exactement ? Du PIB, de l’activité économique en général ou bien seulement de certaines activités ? S’il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre ou de polluants, ne faudrait-il pas en revanche davantage de santé, d’éducation ou de culture,… ?

Par-delà la multiplicité de ses acceptations, la décroissance est construite sur une triple confusion : la critique du PIB, la discussion des limites de notre planète et l’apologie de la diminution de la consommation. Toutes trois sont présentées comme des évidences mais sont en fait bâties sur des partis-pris idéologiques et peuvent être réfutées.

1.1        Le PIB

Quand le mot « décroissance » est inventé, dans les années 1980, il est conçu comme un « mot obus » pour déconstruire des idées reçues sur le PIB. Celui-ci est accusé de très mal représenter l’état réel de la société : il ne mesure que les activités marchandes, et non pas le bien être, la sociabilité, … Il ne prend en compte que l’activité et non pas le capital, et en particulier, pas le capital environnemental de la planète, c’est-à-dire les ressources écologiques. De nombreux exemples montrent les défauts de l’indicateur : c’est le cas des marées noires, qui amènent des dommages environnementaux non mesurés par le PIB mais génèrent une activité économique de dépollution : la catastrophe écologique, dont l’impact négatif est évident, fait donc augmenter l’indicateur.[1]

La plupart des économistes s’accordent à reconnaître les nombreuses imperfections du PIB. Mais la critique tourne court quand il s’agit de trouver d’autres moyens de mesurer l’activité économique ou l’état de la société. Quelques alternatives existent, comme l’indice de développement humain (IDH, utilisé par la Programme pour le développement des Nations Unies), ou l’indice du bonheur brut (BNB), le Happy Planet index (HPI), voire d’autres encore plus marginaux comme le BIP40.

En France, Dominique Méda et Jean Gadrey ont créé un « Forum pour d’autres indicateurs de richesse ». Mais celui-ci n’est pas davantage parvenu à créer une alternative sérieuse que ses équivalents dans le reste du monde. Et si personne n’en a été capable en 20 ans, il faut douter que ce soit possible. C’est une impasse.

Par ailleurs, le fait que Méda ait été conseillère de Benoit Hamon et que Gadrey se soit engagé chez La Nouvelle Donne (Pierre Laroutourou) et soit membre du conseil scientifique d’ATTAC montre clairement leur orientation politique.

Mais l’amalgame entre critique du PIB et décroissance est trompeur : toutes les critiques à l’encontre du PIB ne justifient pas pour autant le corolaire d’une nécessaire « décroissance » de l’économie. On peut critiquer le PIB et être contre la décroissance.

1.2       Les Limites de la planète

« Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Cette phrase célèbre de l’économiste américain Kenneth Boulding est devenue le mantra de la décroissance. Son deuxième pilier en quelque sorte. Là encore, de multiples pièges se dissimulent derrière la formule, qui a été largement commentée.

Le premier est que les mécanismes du marché encouragent l’innovation et corrigent une partie du problème : quand la ressource se raréfie, son prix sur le marché augmente, incitant alors l’ingéniosité humaine à trouver des alternatives.

C’est ainsi que les villes se sont éclairées à l’huile pendant des décennies. Celle-ci était prélevée sur les baleines, et au XIXe siècle les baleiniers américains en tuaient plus de 10 000 par an. Le nombre de ces grands mammifères marins chuta jusqu’à friser l’extinction. Le prix de leur huile fut multiplié par 10. C’est alors que l’on a inventé l’éclairage au pétrole (plus exactement le kérosène) puis l’ampoule électrique. Et les baleines furent sauvées.[2]

Aujourd’hui, on discute beaucoup de la pénurie de « terres rares » ou des métaux rares pour les microprocesseurs ou les batteries. L’enjeu est bien réel, mais les technologies changent rapidement. Pour les batteries, on est passé, entre 1990 et 2010, de solutions NiMH (Nickel Métal Hydrure) qui contenaient du lanthane, une terre rare, aux batteries lithium-ion (Li-ion) qui n’en contiennent pas, mais plutôt du lithium, du cobalt et du nickel. Les réserves de lithium sont gigantesques et encore largement inexploitées. Quant aux prochaines générations de batteries, elles pourraient être construites avec du graphène (une molécule à base de carbone, dont on connait l’abondance !). [3]

Une anecdote amusante illustre cette illusion permanente des écologistes sur les matières premières : on l’appelle « le pari Ehrlich – Simon ». Paul Ehrlich est un écologiste américain célèbre dans les années 1980. Représentant du courant malthusien de l’écologie, il écrivit en 1980 un livre important, « La bombe P » (pour Population). Il prédisait une sorte d’apocalypse si la population continuait d’augmenter. A l’époque, il y avait 3 milliards d’êtres humains sur Terre, aujourd’hui on se rapproche des 10 milliards, mais la catastrophe n’est pas survenue. Il pensait également que notre consommation de ressource allait croître dans de telles proportions qu’elle se heurterait aux limites disponibles et que la pénurie était inévitable. Le premier signe en serait une augmentation des prix.

L’économiste libéral Julian Simon pensait le contraire et proposa donc à Paul Ehrlich un pari ; il l’invita à choisir cinq métaux dont le prix augmenterait selon lui. Et les deux experts s’engagèrent à faire le point 10 ans plus tard et à se payer respectivement la différence de prix.

Ehrlich choisit le cuivre, le chrome, le nickel, l’étain et le tungstène. Dix ans plus tard, leur prix à tous avait baissé ! Ehrlich envoya un chèque à Simon mais refusa toujours de reconnaître qu’il s’était trompé. Comme tous les écologistes après lui, il affirmait que la théorie générale reste vraie en dépit de la longue liste des contre-exemples…

1.3        La fin du pétrole

Le cas du pétrole réserve une autre succession d’erreurs. Pendant des années, les écologistes comme Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement, nous ont prédit la fin du pétrole. Il devait y avoir un « pic » après quoi tout allait se détériorer, pour aboutir à un effondrement catastrophique de notre société qui amènerait la fin de l’état de droit, le chaos et des hordes violentes prêtes à tout pour s’emparer des dernières gouttes disponibles comme dans le film Mad Max.

En 1975, un géologiste qui avait travaillé pour Shell, MK Hubbert, fondateur du concept de « pic pétrolier », suggérait que ce pic pourrait survenir en 1995. En 1997, il expliquait qu’il surviendrait avant 2010. En 2003 le geophysicien K Deffeyes déclarait qu’il est confiant à 99% que le pic surviendrait en 2004. En 2004, un autre expert prédisait que jamais à nouveau nous ne produirons plus de 82 millions de barils. Mais en 2019, elle atteignait en 95 millions…

Comme pour toutes les visions de fin du monde, la fin du pétrole a été reportée d’année en année. Puis sont arrivés les gaz de schistes : les USA sont devenus les premiers producteurs du monde, devant l’Arabie saoudite. Le pétrole est de plus en plus compliqué et coûteux à extraire. Il faut aller le chercher de plus en plus profond, déployer de plus en plus d’efforts. Mais nous n’en manquons pas pour l’instant. Et c’est malheureux.

Comme le raconte l’un des écologistes les plus influents et les plus radicaux du Royaume-Uni, le journaliste britannique George Monbiot, le problème n’est pas la pénurie mais la surabondance. « Nous avions tort sur le peak oil. Il y en a assez pour nous griller tous. » Face au réchauffement climatique, l’enjeu est désormais la surabondance : il est de NE PAS exploiter les ressources qui existent, pour lutter contre le réchauffement climatique.[4]

2       Consommation

Le dernier élément du triptyque de la décroissance est la diminution de la consommation. C’est le plus sérieux et le plus important. Il porte parfois d’autres noms, comme frugalité (heureuse) ou simplicité (volontaire),

2.1       Diminuer la demande

Dans sa forme caricaturale, la décroissance semble parfois se résoudre à une liste d’interdits et de privations. La planète est en danger et la situation exige des sacrifices. Alors ne prenez plus l’avion, ne consommez plus ni tel produit ni tel autre. Ne faites ni ceci, ni cela… La liste est longue des choses plaisantes, utiles ou profitables qu’il faudrait éviter au nom de la défense de la planète.

Il y a bien entendu tout un ensemble de comportements que l’on peut ou que l’on devrait changer (inutile d’aller chercher sa baguette en 4×4 à la boulangerie du coin de la rue, nul besoin de posséder trois téléviseurs…), mais penser que la crise écologique puisse être résolue par des injonctions aux citoyens est une erreur profonde pour – au moins – trois raisons.

2.2      Lutter contre la pauvreté

La première est que la lutte contre la pauvreté implique de permettre à l’essentiel de la population de consommer plus, et non pas moins. « Au cours des 25 dernières années, plus d’un milliard de personnes dans le monde sont parvenues à sortir de l’extrême pauvreté, et le taux mondial de pauvreté n’a jamais été aussi bas qu’aujourd’hui. C’est l’une des plus grandes réussites de notre temps », écrivait récemment Jim Yong Kim, président du Groupe de la Banque mondiale.[5] Et si la Covid a interrompu cette progression, la population en-dessous du seuil d’extrême pauvreté (1,9 $ par jour en parité de pouvoir d’achat) est passée de 42,7% en 1981 à 9,3% en 2017.[6]

Pour tous les paysans de Chine, d’Inde ou d’ailleurs qui vivaient dans une indigence totale, souffraient de la faim et qui sortent de leur misère, l’augmentation de la consommation est une bonne nouvelle !

Dans les pays occidentaux, la pauvreté n’est – heureusement- pas aussi massive que dans d’autres pays. Avec l’eau courante, le chauffage, des machines à laver le linge et la vaisselle, des citoyens modestes vivent parfois mieux qu’un roi il y a mille ans. Mais des millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ils connaissent le mal-logement et parfois font la queue pour l’aide alimentaire. Qu’ils ou elles rêvent de vivre décemment, voire de jouir d’une maison à eux, de pouvoir partir en vacances et de s’offrir un peu de confort … Qui pourrait leur renier, même si cela pose des problèmes environnementaux ? Alors il faut se féliciter de cette augmentation de la consommation.

Bien entendu, le système capitaliste génère tout un ensemble de comportements délétères, il suscite des besoins artificiels. Et toute l’évolution actuelle ne peut se résumer à une croissance du PIB. Mais il faut continuer à améliorer le niveau de vie de la population. Pour les pays du Sud, s’y opposer ne pourrait être considéré que comme un frein à leurs efforts pour se développer (avec toutes les limites qu’il faut mettre à ce mot) et, aussi, une forme de domination. Dans les pays occidentaux, la décroissance serait perçue comme les injonctions dédaigneuses de nantis à l’encontre des classes populaires. Les exemples sont légion de ces personnalités du monde du spectacle qui font le tour du monde en jet privé, habitent des demeures sublimes et invitent le peuple à moins consommer !

Mais de toutes façons, c’est impraticable : personne ne peut dicter aux autres pays leur développement, et personne ne peut non plus imposer aux pauvres du Nord de consommer moins. La consommation va continuer à augmenter sur toute la planète et il est totalement illusoire de croire que l’on pourrait y change quoique ce soit. Seule une crise mondiale pourrait l’en empêcher, ce que personne ne peut souhaiter.

2.3      Culpabiliser les citoyens

La deuxième raison est que cette idée fausse alimente une logique néfaste et punitive : puisque les consommateurs sont responsables de la catastrophe à venir, alors les récalcitrants méritent qu’on les taxe et qu’on les contraigne pour les remettre dans le droit chemin.

Expliquer aux pauvres qu’ils ne devraient pas ou moins consommer prend une dimension anti-sociale. Bien entendu, mieux isoler son appartement permet de moins consommer pour le chauffer, et manger moins de viande permet de moins dépenser pour se nourrir, mais concilier les fins de mois et la fin du monde ne doit pas être une pénitence. L’écologie officielle, en défendant la décroissance, se met ainsi en porte-à-faux de ses combats habituels et de son histoire. Et à gauche, en France, il n’y a plus que les communistes pour affirmer à la fois une écologie non décroissante et sociale.

2.4      L’erreur individuelle

La troisième raison est celle-ci : cela revient à se focaliser sur l’action individuelle plutôt que d’adresser un levier bien plus puissant : l’impact d’une transformation des entreprises et des institutions.

La littérature écologiste regorge d’exemples d’initiative positives : elle dresse le portrait de héros du quotidien qui cultivent des légumes bio, qui recyclent leurs mégots de cigarette, qui changent leurs ampoules. Mais aussi sympathiques que soient ces expériences, ce n’est pas comme cela que l’on va changer le monde ! Quant aux survivalistes qui se retirent au plus profond des forêts s’habiller de peaux de bêtes ou qui s’enfoncent dans leur abri anti-atomique pour manger des boîtes de conserve, ils n’aident en rien la planète.

Rappelons en effet quelques ordres de grandeur : chaque année, nous émettons 40 milliards de tonnes d’équivalent carbone ; nous consommons 5000 milliards de litres de pétrole, nous déversons presque 10 millions de tonnes de plastique dans les océans. L’actualité le montre chaque jour : l’ampleur de la crise actuelle impose une réponse à la hauteur qui lui correspond, c’est-à-dire à l’échelle industrielle.

Paradoxalement, l’une des faiblesses profondes de l’écologie de la décroissance est – malgré la virulence des prêches et des exhortations – de trop souvent de manquer de l’ambition nécessaire. Les décroissants diminuent leur consommation mais leur impact est infinitésimal quand les Chinois multiplient par deux leur PIB (et donc, proportionnellement, leur consommation) en 10 ans. Obsédés par leur combat autocentré contre la tentation de consommer, ils renoncent en fait à changer le monde.

2.5      Inverser les termes du débat

La tendance des écologistes français à insister sur la décroissance est d’autant plus étonnante qu’il existe en fait deux grands courants de pensée, à l’intérieur du mouvement écologiste international, qui s’en détachent et proposent des alternatives.

Le premier est directement issu des réflexions du club de Rome – cet organisme qui a commandé le célèbre rapport « Les limites à la croissance », de Dennis et Donella Meadow, publié en 1972. Quelques années plus tard, émergea en effet au sein du club ce qui allait donner le concept de « Facteur 4 », présenté dans un livre au titre évocateur « Facteur 4 : deux fois plus de bien-être en consommant 2 fois moins de ressources ». Il est écrit par deux des plus grands noms de l’écologie internationale de la fin du XXe siècle : Amory Lovins, qui fonde et dirige le Rocky Mountain Institute aux USA, et Ernst Ulrich von Weizsäcker, qui fonde et dirige l’Institut Wuppertal pour le climat, l’environnement et l’énergie, en Allemagne. Ce dernier dirigea même le Club de Rome entre 2015 et 2018.

Tous deux sont partisans d’une efficacité énergétique et écologique. En 2009, von Weizsacker publiera même avec d’autres collègues une sorte de suite, intitulée « Facteur 5 : Comment transformer l’économie en rendant les ressources 5 fois plus productives ». Ils s’appuient sur une ingénierie de pointe pour imaginer des voitures qui consomment moins, des bâtiments qui nécessitent moins d’énergie pour être chauffés, transformer les processus industriels de production de l’acier ou de la chimie, bref, pour construire plus mais mieux en consommant moins – 4 fois moins, selon leurs premiers calculs et 5 fois moins selon le deuxième opuscule.

L’éco-efficacité, comme on l’appelle, est devenue l’un des concepts fondamentaux du développement durable. S’il est un peu passé de mode, c’est que l’aggravation de la crise climatique, invite désormais à privilégier celui de neutralité carbone, c’est-à-dire, virtuellement zéro émission. Mais le concept reste essentiel dans les stratégies écologiques

L’autre courant de pensée porte le nom d’économie circulaire. Il est inventé par un autre des géants de la pensée écologiste anglo-saxonne : il s’agit de William McDonough. Cet architecte américain théorise la réutilisation des déchets pour en faire une nouvelle matière première et il devient le héraut d’une révolution gigantesque et planétaire, pour le recyclage. Cela est possible au travers de l’éco-conception : repenser complètement la manière dont nous fabriquons ce que nous utilisons, de manière à pouvoir, une fois que nous n’en avons plus usage, les recycler pour en reconstruire d’autres. Idéalement de manière infinie. Son livre principal s’intitule « Cradle to cradle », une expression difficile à difficile à traduire en français, mais son sous-titre est explicite « Créer et recycler à l’infini » !

A partir de ses idées sur le recyclage, il propose une idée qui va au-delà de la décroissance, il explique qu’il faut passer de « from less bad to more good ». En substance, il ne suffit pas de vouloir diminuer les nuisances environnementales. Il faut inventer de nouveaux projets qui auront cette fois des impacts positifs pour créer une économie régénératrice, positive.

« Il existe indiscutablement des choses que nous voulons tous cultiver plutôt que d’autres. Nous souhaitons encourager l’éducation plutôt que l’ignorance, la santé et non la maladie, la prospérité au lieu de l’indigence, une eau pure et non polluée. Nous espérons améliorer notre qualité de vie. La clé n’est pas de rendre les industries et les systèmes humains plus petits, comme le plaident les avocats de l’efficacité, mais de les concevoir de façon à ce qu’ils se bonifient en grandissant, de façon à réapprovisionner, restaurer et nourrir le reste du monde »

Il prend l’exemple de dalles de moquette recyclables infiniment, de toits végétaux qui aident à rafraichir l’atmosphère en cas de canicule ou à réguler les eaux de pluie en cas d’inondations, de sacs d’une matière qui se décomposerait rapidement et fournirait de l’azote au sol et serviraient donc d’engrais de telle sorte que l’on serait ravis de jeter dans les champs, de canettes que les gens pourraient brûler en toute sécurité et qui, dans les pays pauvres, permettraient aux gens de mieux se chauffer ou cuisiner…[7]

3       Ecologie de l’offre

L’efficacité et le recyclage visent à créer mieux et différemment, à fabriquer avec moins de ressources, et en générant moins de pollution – voire aucune. Ensemble, ces deux idées prônent une nouvelle manière de produire plutôt que de consommer. C’est ce que j’appelle l’écologie de l’offre, à la différence d’une écologie de la demande, qui repose sur une transformation de la consommation.

Dans les faits, la plupart des écologistes sont bien conscients qu’il faudra jouer à la fois sur l’offre et la demande pour transformer notre société et empêcher les catastrophes à venir. Mais ils insistent tantôt sur l’un ou l’autre versant du problème. La différence profonde entre écologistes peut être tracée entre ceux qui veulent agir sur la demande, pour faire diminuer la consommation, et ceux qui veulent agir sur l’offre, pour améliorer l’efficacité des produits et diminuer les ressources nécessaires à leur utilisation ou à leur production. Les premiers sont décroissants, les seconds ne le sont pas.

Aujourd’hui, en France, les partisans de la décroissance sont plutôt de gauche (même s’il existe des exceptions avec le mouvement de l’écologie intégrale, par exemple, qui est décroissant et de droite) et les écologistes de l’offre sont plutôt de droite. Mais dans les années 90 ou dans le monde anglo-saxon, le discours sur l’efficacité énergétique a été porté par la gauche : von Weizsäcker était un député du SPD allemand.

Pour autant, en général, la politique de l’offre est plutôt d’inspiration libérale (abaissement des impôts ou des charges sociales sur les entreprises) tandis que la politique de la demande, est plutôt d’inspiration keynésienne, de gauche, et repose sur une stimulation de la demande (augmentation des salaires).

3.1       Politique de l’offre

Pour reprendre les propos de l’ancien ministre saoudien du pétrole Sheikh Zaki Yamani : « l’âge de pierre n’a pas pris fin par manque de pierres, et l’âge du pétrole ne prendra pas fin par manque de pétrole ». C’est l’invention de la métallurgie qui a ouvert l’âge du bronze et mis fin à l’âge de la pierre. Ce sera probablement la révolution énergétique de la mobilité électrique qui mettra fin à l’âge du pétrole. On continuera à en utiliser, mais beaucoup moins, et pour certains usages seulement, comme on continue à utiliser la pierre, mais plus pour faire des outils ou des armes.

Les exemples sont nombreux qui illustrent combien c’est en fait la politique de l’offre qui transforme réellement le système. Le numérique a fait disparaître des géants comme Kodak, les engrais chimiques ont remplacé le guano ou la manure, les plastiques remplacent le caoutchouc, la voiture a remplacé les calèches, … C’est l’existence d’une alternative plus efficace, plus pratique, moins chère, ou encouragée par un cadre législatif approprié qui transforme le monde. Et pas les injonctions ou les leçons de morale…

La distinction entre politiques écologiques de l’offre ou de la demande ne se réduit pas à celle qui a longtemps prévalu entre partisans et opposants à la technologie. Car il existe des propositions des tenants de l’efficacité et de l’économie circulaire qui ne reposent pas sur des technologies, mais sur des changements de comportement, des modifications législatives, politiques ou culturelles.

Cette distinction repose également sur une vision élargie de l’opposition entre offre et demande. Ainsi, une transformation de l’offre qui aboutit à une diminution de la consommation est considérée comme faisant partie de la politique de l’offre – par exemple la mise sur le marché de véhicules moins consommateurs.

3.2      Exemples

L’encouragement des déplacements à vélo est une politique de l’offre. Elle repose sur la construction d’un réseau de voies protégées le plus large possible : ce sont les « corona pistes » qui ont poussé dans les grandes villes pendant la Covid. En Ile-de-France, c’est le RER-vélo, un réseau transrégional de pistes dédiées mis en place par la Région et les associations, et qui a reçu le grand prix des villes et territoires cyclables en 2021.

Le développement de vélo est également tributaire du développement d’une autre évolution de l’offre : les vélos électriques qui permettent d’arriver sans transpirer à un rendez-vous professionnel, de parcourir des distances plus importantes, et cela sans nécessiter une puissance physique pour les personnes moins entrainées. Et c’est un immense succès !

Toujours sur la mobilité, la transition vers la mobilité électrique n’est pas une politique de la demande. C’est une politique de l’offre : encourager l’émergence de véhicules aux motorisations différentes, qui soient cohérents en termes de coût, de disponibilité et de performance (autonomie, facilité à recharger). A l’inverse, la politique anti-voiture que l’on peut constater à Paris ou dans d’autres villes est une politique de la demande : contraindre les usagers à ne plus utiliser la voiture, quand bien même ils en auraient besoin. Et c’est pourquoi elle est punitive.

Les exemples se retrouvent y compris dans la grande consommation. L’apparition de produits sans plastique ou en plastique recyclé permet une transition que simplement des rodomontades aux consommateurs n’auraient pas suffi. C’est le cas des baskets Parley d’Adidas qui sont désormais 100% en plastique recyclé. Chaque paire permet d’éliminer l’équivalent de onze bouteilles en plastiques jetées dans l’océan. Et en 2019, 15 millions d’exemplaires ont été vendus ! L’impact est gigantesque mais ce n’est qu’un début, puisque la marque a annoncé passer à 100 % de plastique recyclé en 2024 pour les 900 millions de produits qu’elle vend chaque année ! [8]

Mais ce qui est vrai de grandes entreprises l’est aussi des plus petites. Plusieurs startups ont lancé des produits innovants sur ce thème, avec succès. C’est le cas de Bureo, qui fait des planches de skateboard à partir de filets de pêche recyclés, ou de Awake, startup française qui crée des montres écolo au bracelet en plastique recyclé des océans et connait un franc succès : sa levée de fond participative a été réussie en une heure !

La situation est singulière : les marques regrettent souvent que les consommateurs soient bien moins écologistes dans leurs achats que dans leurs déclarations d’intention. Symétriquement, les consommateurs se plaignent souvent de produits trop peu vertueux. Mais les marques et les consommateurs veulent des alternatives. Quand les premières font aux seconds une proposition séduisante et efficace, ça marche. La stratégie de l’offre marche mieux que celle de la demande !

3.3       Découplage

Malgré tous les avantages de l’écologie de l’offre, les écologistes de la décroissance préfèrent demander des sacrifices aux gens plutôt que d’aider les entreprises à se transformer. L’une des raisons est un réflexe anticapitaliste ancré dans l’écologie de gauche. Mais il en est un plus sérieux, plus profond, et qu’il convient de réfuter : il s’appelle « effet rebond » ou découplage.

En effet, tous les bénéfices obtenus par l’amélioration de l’efficacité et le recyclage peuvent être réduits à néant si la consommation augmente plus vite qu’ils ne diminuent les besoins en ressource. L’enjeu fondamental est effectivement de « découpler » la croissance et la consommation des ressources ou la production de pollution (comme le CO2).

3.4      L’équation de Kaya

Une équation (relativement simple), permet d’y voir plus clair. Elle s’appelle équation de Kaya, du nom d’un économiste japonais, Yoichi Kaya. Elle porte sur les émissions de CO2, mais on pourrait l’appliquer à d’autres phénomènes. Elle est d’ailleurs inspirée d’une autre équation, plus générale, diffusée par Paul Ehrlich dans les années 1970 (I=PAT).

Dans cette équation, les émissions de CO2 planétaires sont égales au produit de la population, multipliées par le PIB/habitant, l’intensité énergétique du PIB et le contenu en CO2 de l’énergie.

CO2= POP x PIB/POP x E/PIB x CO2/E

(CO2 = émissions anthropiques mondiales de CO2, POP = population mondiale, PIB = PIB Mondial et E = Consommation mondiale d’énergie primaire)

Les deux premiers termes augmentent : la population et le revenu par habitant. Les deux derniers baissent : l’intensité énergétique du PIB et l’intensité carbone de l’énergie.

Dans les schémas un peu anciens du GIEC, qui utilisent cette équation dans un de ses rapports, la population croit de 1,6% par an ; le PIB/habitant de 1,8% ; l’intensité énergétique de – 1,8% par an et l’intensité carbone de -0,2% par an.[9] Le bilan reste supérieur à zéro : Les émissions de CO2 continuent d’augmenter. Il y a un problème !

GIEC, AR4 WG3 Figure 1.6: Decomposition of global energy-related CO2 emission changes at the global scale for three historical and three future decades.

Face à cette impasse, il y a globalement deux solutions. La première consiste à diminuer beaucoup plus fortement les économies d’énergie. Un ingénieur, expert du sujet, comme Jean-Marc Jancovici, estime ainsi qu’il faudrait diviser par 9 – au moins ! – l’intensité énergétique et l’intensité carbone pour y parvenir. Mais il estime aussi qu’une telle diminution n’est pas réaliste. [10] Mais des exemples existent : en 30 ans, le Royaume-Uni a réduit ses émissions de 44% tout en augmentant son PIB de 75% ! [11]

La deuxième consiste à faire diminuer les autres facteurs : la consommation ou la population. Il s’agit d’une part des décroissants, et de l’autre des partisans d’une forme de malthusianisme (un courant plus complexe qu’il n’y parait et qui mériterait une étude à part). On retrouve l’opposition fondamentale entre écologistes de l’offre et de la demande.

3.5      Les scénarios de l’ADEME

L’Agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie (ADEME) vient de se livrer à un exercice intéressant qui éclaire cette opposition. Elle a construit plusieurs scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Ils sont au nombre de 4. Le premier, baptisé « Génération frugale » porte sur une stratégie principalement liée à la décroissance, basée sur la sobriété et la diminution de la consommation. Le troisième « technologies vertes » et le quatrième « pari réparateur » reposent sur une amélioration très forte de l’efficacité basée sur les technologies. De manière simplificatrice, ils pourraient illustrer respectivement l’efficacité et la circularité. L’autre scénario repose sur des hypothèses intermédiaires, avec une modification des équilibres régionaux et internationaux, qui ne sera pas discuté ici.

Ces différents scenarios sont des exercices de pensée et non des prédictions ; il n’est pas question de dire que l’un ou l’autre serait plus probable que l’autre, mais d’étudier à quelles conditions il peut se réaliser. L’Ademe est une agence gouvernementale et ne prend pas parti. Elle montre toutefois que chacun de ces scénarios permet en théorie d’atteindre la neutralité carbone. C’est possible ![12]

Pour chaque scénario, L’Ademe met en évidence des risques associés. Pour le premier : « La sobriété se fait par la réduction volontaire de la demande en énergie, matières et ressources grâce à une consommation des biens et services au plus près des besoins (…) Mais les mesures contraignantes et la capacité à obtenir une implication de tous reste incertaine et fait courir le risque de clivages forts voire violents au sein de la société. »

Pour le troisième « Technologies vertes » : « C’est une voie dans laquelle le découplage entre création de richesses et impacts environnementaux constitue toujours la ligne d’horizon. Mais en se focalisant sur la production verte ou décarbonée, il existe un risque de ne pas suffisamment maîtriser les consommations d’énergie et de matières et de ne pas permettre aux plus pauvres d’accéder aux besoins de base. »

3.6      Un choix de société

La décroissance n’est donc pas la seule solution, contrairement à ce que ses partisans veulent nous faire croire. C’est l’un des chemins qui peut mener à la neutralité carbone, parmi d’autres. La décroissance est un choix politique et non une nécessité.

Et pour appuyer ce choix, diminuer la consommation serait-elle chose plus aisée qu’augmenter l’efficacité énergétique ? Rien n’est moins sûr ! Pour un ingénieur, les contraintes industrielles et technologiques peuvent sembler plus fortes que les contraintes politiques et sociales. Mais les constructions sociales sont parfois plus robustes que les bâtiments les plus solides. Les religions se développent sur des siècles tandis que les édifices s’effondrent progressivement pour retourner à la poussière. Les croyances se révèlent parfois des obstacles infranchissables pour les révolutionnaires qui ont voulu faire le bien du peuple malgré lui, et à qui il ne reste plus qu’à « changer le peuple », comme l’écrivait Bertold Brecht.

Est-il plus difficile de construire 100 centrales nucléaires ou de diminuer la consommation de toute la population ? Selon la réponse que l’on apporte à cette question, on se situe d’un côté ou de l’autre de l’écologie de l’offre ou de la demande. Et quitte à faire un pari, l’écologie de la demande cherche à améliorer l’efficacité.

Cela demandera des moyens gigantesques : la transition écologique est le programme Apollo du XXIe siècle. Et pour donner des ordres de grandeur, rappelons que ce programme a couté plus de 100 milliards de dollars équivalent actuels. C’est gigantesque, mais en ces temps d’argent gratuit, quand l’État français dépense 240 milliards pour lutter contre la Covid (« quoi qu’il en coute ! »), ou quand le président américain Joe Biden propose un grand plan de relance de 1200 milliards de dollars, incluant un volant écologique majeur, cela donne une idée de l’échelle à laquelle il faut se placer.

Comme Apollo, la transition est un projet positif : on n’aurait pu envoyer personne sur la Lune en créant deux mille nouvelles lois sur l’obligation de maîtriser l’apesanteur. Et on n’aurait pas davantage réussi en mettant des amendes à ceux qui ne portaient pas de scaphandre spatial. L’écologie punitive comme la science punitive ne marcheront pas. Il fallut la volonté d’un homme, John Fitzgerald Kennedy, et l’enthousiasme d’un pays tout entier. Il ne faudra pas moins pour résoudre les enjeux écologiques qui s’annoncent

C’est un projet immense, difficile, mais qui pourra changer l’humanité pour toujours. Et chaque effort que l’on fera dans cette direction améliorera la société. A l’inverse, la décroissance est une hypothèse improbable et non souhaitable, en particulier pour celles et ceux qui tentent de sortir de la pauvreté partout dans le monde.

4      Réindustrialiser

La principale conséquence de la politique de l’offre en écologie est d’inviter à une politique industrielle. Changer l’offre, c’est produire autrement, cela requiert de disposer des moyens de produire et d’avoir une forme de contrôle sur elle. En d’autres termes, en France, réindustrialiser est la seule manière de vraiment lutter contre le changement climatique. Métamorphoser la quasi-totalité de notre appareil de production et réinventer notre manière de produire permettra l’émergence d’une nouvelle écologie qui pourrait s’appeler une écologie industrielle.

4.1       Relocaliser l’économie

Aussi paradoxal que cela puisse être, relocaliser l’économie est une manière de diminuer nos émissions de CO2 et de produire plus écologique. La première raison tient à notre empreinte carbone. Si la France émet chaque année 324 millions de tonnes d’équivalent carbone, l’impact de ses importations atteint 375 millions de tonnes. L’empreinte globale de notre pays est donc majoritairement liée à nos importations. Et la situation s’aggrave, selon les services statistiques de l’état : « Entre 1995 et 2019, les émissions intérieures ont diminué (- 25 %), tandis que les émissions associées aux importations se sont nettement accrues (+ 72 %). Les émissions importées représentent plus de la moitié des émissions totales de l’empreinte. » [13]

C’est en fait assez logique : notre pays se désindustrialise, nous importons de plus en plus de produits de l’étranger : des voitures, des chaussettes, des ordinateurs etc. La crise Covid a dévoilé combien nous étions dépendants de ces importations, pour des biens aussi simples que de masques chirurgicaux en papier ou des outils aussi essentiels que des vaccins.

Le changement climatique étant un phénomène planétaire, peu importe que les gaz à effet de serre soient émis à Pékin ou à Paris : ils sont libérés dans l’atmosphère et exercent leur action sur toute la planète. Il est ainsi inopportun de se féliciter de la diminution des émissions de la France : les chiffres sont trompeurs.

Bien entendu, produire en France permettrait de diminuer le transport et les émissions de carbone associées. Mais ces émissions ne représentent qu’une part marginale de l’empreinte carbone des produits – quelques pourcents tout au plus dans la plupart des cas. En revanche, cela permettrait de produire différemment et mieux tous ces objets, parce que notre pays dispose d’un environnement industriel plus performant, mieux contrôlé, moins émetteur : produire en France plutôt qu’en Asie ou en Europe de l’Est est donc meilleur pour la planète ! Une étude du cabinet de conseil Deloitte a ainsi montré que les délocalisations entre 1995 et 2015 avaient avaient causé 2 263 ktCO d’émissions supplémentaires. [14] Inversement, rapatrier ces productions permettrait donc de retrouver ces emplois et de diminuer ces émissions.

« En prenant l’exemple du textile, 1 kilo de textile produit en France a une empreinte carbone 2 fois plus faible que s’il était produit en Chine. Relocaliser 25% de la production de textiles achetés en France diminuerait l’empreinte carbone de 3,5 millions de tonnes de CO2eq par an », selon les experts Anais Voy-Gillis et Greg de Temmerman. Selon un rapport de RTE (Réseau de Transport d’électricité), « Une réindustrialisation profonde permet d’éviter environ 900 millions de tonnes de CO2 en trente ans »[15]

Enfin, produire en France permettrait de créer de l’emploi et de distribuer de la richesse. On reviendrait ainsi aux sources même du développement durable. Qui s’appuie sur trois piliers (économie / écologie / social) pour assurer un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement durable.

4.2      Photovoltaïque chinois

Proposer une politique industrielle de l’offre plutôt qu’une logique de la demande, c’est aussi tirer les leçons d’un échec cuisant : celui du boom des panneaux photovoltaïques des années 2000.

A l’époque, pour développer les énergies renouvelables, la plupart des gouvernements européens mirent en place des subventions à l’achat d’électricité renouvelable. Mais ils négligèrent de soutenir proportionnellement la production européenne. Les usines chinoises profitèrent de ce marché gigantesque, produisirent à bas coût et supplantèrent les producteurs européens qui firent faillite. En partant d’une bonne intention, les décisions européennes ont ainsi subventionné le développement de l’économie chinoise et lui ont permis de détruire les producteurs européens. Quel terrible fiasco !

En encourageant le développement d’une capacité locale de production, on aurait obtenu une baisse moins rapide des coûts, mais on aurait soutenu durablement une industrie locale. La leçon est claire : il faut soutenir la production (l’offre) et non pas seulement la consommation (la demande).

4.3      Recycler localement

Un autre point important à l’appui d’une politique résolue de réindustrialisation est qu’une logique du recyclage ambitieuse (cradle to cradle) nécessite de pouvoir concevoir et produire localement. Si les produits doivent être démantelé à 10 000 kilomètres, ce n’est évidemment pas durable. Et puis, surtout, s’il faut concevoir autrement la production, il faut pouvoir produire. William McDonough insiste sur le fait qu’une écologie circulaire est inscrite dans les territoires et leur diversité pour s’y adapter.

4.4      Le rôle des Entreprises

Une écologie industrielle n’est possible qu’avec les entreprises, et pas contre elles. Et les associations ou les partis de gauche n’ont plus le monopole de l’écologie. Désormais, de jeunes ingénieurs, des créateurs de start-up, des cadres de l’administration ou des dirigeants de multinationales peuvent s’engager pour la planète. Comme l’écrivait le célèbre professeur de la Harvard Business School, Michael Porter : « Quand une entreprise bien gérée mobilise ses vastes ressources, son expertise et son talent managérial à des problèmes qu’elle comprend et dans lesquels elle est impliquée, elle peut avoir plus d’impact pour le bien commun que n’importe quelle autre institution ou organisation philanthropique. » [16]

La droite sait mieux que la gauche s’adresser au monde de l’entreprise. On lui reproche parfois cette proximité, elle doit en faire une force.

4.5      Conclusion

Une écologie différente est possible, à l’opposé de la décroissance. Cette écologie repose sur une amélioration de l’offre et allie éco-efficacité et recyclage. C’est une écologie industrielle, qui crée des emplois et redistribue de la richesse. En France, cela impose un effort majeur pour réindustrialiser le pays.

Une telle transformation demande des investissements majeurs dont le financement n’est pas aisé. Mais elle permet d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Télécharger le texte en format PDF


[1] Cradle to cradle, p58

[2] The infinite ressource, Ramez Naam, University Press of New England

[3] https://www.automobile-propre.com/dossiers/les-batteries-et-lenjeu-des-terres-rares/

[4] George Monbiot, « We were wrong on peak oil. There’s enough to fry us all”. The Guardian, 2 juillet 2012. https://www.theguardian.com/commentisfree/2012/jul/02/peak-oil-we-we-wrong

[5] https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2018/09/19/decline-of-global-extreme-poverty-continues-but-has-slowed-world-bank

[6] https://donnees.banquemondiale.org/theme/pauvrete

[7] Cardle to cardle, p180

[8] https://www.adidas.co.uk/parley

[9] https://archive.ipcc.ch/publications_and_data/ar4/wg3/en/figure-1-6.html

[10] https://jancovici.com/changement-climatique/economie/quest-ce-que-lequation-de-kaya/

[11] Net Zero Strategy Build back greener – UK Government https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/1033990/net-zero-strategy-beis.pdf

[12] https://transitions2050.ademe.fr/

[13] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/estimation-de-lempreinte-carbone-de-1995-2019

[14] Deloitte : https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/sustainability-services/articles/redeploiement-industriel-enjeu-social-economique-et-instrument-maitrise-empreinte-carbone.html

[15] Futurs énergétiques 2050 – RTE – https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats.pdf

[16] Creating Shared ValueMichael E. PorterMark R. Kramer, Harvard Business Review, Jan 2011

3 réponses sur « Contre la décroissance : une écologie de l’offre »

Bonjour,

Je ne comprends pas trop comment vous pouvez autant séparer l’offre et la demande, surtout en tant qu’économiste. Je n’imagine pas quelqu’un qui serait absolument contre une « écologie de l’offre ». Bien sûr qu’il faut changer nos modes de production, construire avec moins de matières, qui permettent plus et qui polluent moins. Enfin et encore, quand je dis « il faut » oui là c’est politique. Disons que c’est souhaitable, au-delà de toute conviction politique, si on veut conserver nos écosystèmes, la biosphère, ne pas provoquer des extinctions de masse, ne pas détruire les sols, pourrir les champs et ce qui finit dans nos assiettes… mais c’est un choix politique que de vouloir éviter tout cela en effet.

Bref je ne comprends pas comment on peut penser une écologie seulement de l’offre ou seulement de la demande. En modifiant l’offre, vous allez habituer les consommateurs à des biens et services différents, donc la demande va changer in fine. Pourquoi pas donc, aussi, de manière complémentaire, agir pour ceux qui le souhaitent sur la demande. Car s’il y a des gros changements de demande (imaginons pour la viande, pour l’avion…), l’offre va suivre, au moins en partie. Ceux qui s’occupent de l’offre ont bien pour intérêt de vendre leurs produits ou services donc s’il y a une forte demande en « autre chose que la viande » par exemple, ils vont s’y adapter, au moins un peu. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui, on voit tous les grands groupes de l’agroalimentaire proposer des produits végétariens, des steaks végétaux etc etc. Et l’industrie de l’aéronautique ne fait qu’investir plus vite et plus fortement dans la recherche pour des modes de déplacements moins polluants… donc les ptits changements dans la demande restent quand même significatifs sur l’offre. Qui à son tour va peut-être changer les habitudes d’autres personnes encore, et ainsi de suite… l’offre et la demande se font constamment écho et ça me semble incohérent de présenter une écologie qui ne s’intéressait qu’à un des mécanismes de base de notre société.

Pour en revenir aux steaks végétaux, vous pourriez me répondre que c’est une alternative de « nantis » qui « demande aux pauvres de moins consommer ». En effet ces alternatives végétales proposées par votre chère « offre » visent un public bien précis et ne sont pas accessibles à tous, mais parce qu’on n’a pas forcément besoin de ces alternatives de « riches » qui finalement polluent aussi (emballages, énergie pour la production du steak, transports etc). Je crois que vous faites erreur quand vous évoquez les « pauvres ». Déjà, les connaissez-vous ? Je ne peux pas prétendre non plus connaître TOUS leurs besoins, attentes etc, mais des études, sondages et autres diagnostics ou débats révèlent quand même que de un, ce ne sont clairement pas eux le problème pour l’environnement, quand bien même ils « sortiraient de la pauvreté ». De deux, qui dit qu’ils veulent forcément avoir accès à ce que VOUS pensez être du confort ? Évidemment bien manger, dormir, dans un logement propre et sain, avoir accès à l’éducation et à un certain épanouissement personnel, oui bien-sûr ce sont des conditions de base que tout le monde peut désirer. Pourquoi penser que ces « pauvres » voudraient tous une villa avec 4×4 et voyager en avion? D’ailleurs vous faîtes un parallèle avec les pays dits en développement. La plupart n’ont pas envie d’un développement à l’occidentale et de répéter les mêmes erreurs. Vous qui plaidez pour une vision décolonisée et sans domination des relations internationales, ne vous arrêtez pas svp à ce que vous pensez que les autres veulent. Il faut sortir de ce mythe du « oh mais on peut pas empêcher les petits chinois et les petits africains de vouloir une voiture et manger de la viande ». C’est extrêmement paternaliste, réducteur et basé sur des faux présupposés, des préjugés tenaces. Je ne dis pas pour autant que les pays africains ou asiatiques ne cherchent pas à produire plus d’énergie, à accéder à certains marchés etc notamment dans l’agroalimentaire. Mais S’IL VOUS PLAÎT arrêtez d’associer cette écologie que vous appelez majoritaire, à des gens qui demanderaient aux « pauvres » de consommer moins.

C’EST BIEN AUX RICHES (y compris moi hein) QU’ON DEMANDE DE CONSOMMER MOINS ET MIEUX, PAS AUX PAUVRES qui même en accédant à quelques éléments de « confort » de plus, ne pollueraient pas autant que les 1% les plus riches. Et franchement il y a quand même beaucoup de monde je crois, autant de droite de gauche ou d’autre, qui se rend compte qu’on n’a pzs besoin de consommer autant pour être heureux, voire que ça peut rendre vraiment malheureux.

D’ailleurs, et pour finir, ça me fait penser à un auteur qui s’est intéressé aux ressorts psychologiques en jeu quand on change de mentalité, de goût, etc. Il fait le lien avec l’écologie « de la demande » si on veut vraiment l’appeler comme ça, en montrant que (pour faire court) parfois il suffit de déplacer ses attentes et sa satisfaction pour opérer des gros changements de consommation. Par exemple ne plus manger de viande crée de l’hormone du bonheur et de la fierté chez ceux qui prennent la décision de devenir végétarien ou végétalien pour des raisons environnementales. Je n’ai malheureusement plus son nom en tête mais je pense qu’on peut explorer ce que dit « l’écopsychologie » par exemple. Ce petit apparté juste pour vous proposer de ne plus associer les changements de consommations d’écologistes à des punitions, privations et autres images négatives. Les gens font aussi et surtout même des choix par plaisir et avec beaucoup de positif derrière. Je finirai en rappelant (mais ce n’est peut-être que ma vision) que tout est question de socialisation et d’éducation. Pourquoi il y a un mouvement écologiste important chez les jeunes ? Pourquoi il y a des fractures intergenerationnelles ? Parce qu’en éduquant les jeunes à avoir une sensibilité pour l’environnement, notamment en enseignant dès l’ecole primaire le « développement durable » qui semble vous être cher, ces jeunes là en grandissant n’ont pas les mêmes repères que leurs parents et ont bien une autre demande. On en revient bien au fait que la demande peut facilement changer, et influencer très vite l’offre ! Sans forcément des lois restrictives (mais qui sont aussi utiles ; cherchons la complémentarité plutôt que de tout séparer et de s’opposer absolument juste pour gagner en visibilité à l’approche des élections)

En vous souhaitant encore beaucoup de réflexion et de débat,

Bien respectueusement, Audrey. (Une nantie qui a « malheureusement » pour vous été éduquée aux sons du développement durable qui vous est pourtant cher, et qui donc par souci de cohérence aimerait lutter pour une écologie de l’offre ET de la demande)

Bonjour Audrey,
Les politiques de l’offre et de la demande sont deux ensembles assez classiques en politique économique. Dans les faits, il y a souvent des mélanges. Et il n’est pas question d’exclure l’un ou l’autre. Et il y a bien entendu des interactions entre offre et demande. C’est tout l’enjeu de la science économique, n’est-ce pas ? Mon point de vue est que, malheureusement, les incitations à moins consommer sont très peu efficaces en général. Y compris pour les jeunes, qui dans leur majorité, et cela dans tous les pays, ont plutôt tendance à consommer de plus en plus. En conséquence, il faut améliorer l’impact de notre production. Il faut aussi lutter contre le gaspillage ou la surconsommation. Mais par les temps qui courent, il me semble nécessaire d’insister sur le premier aspect.

Bonjour,
Comment faites-vous pour réindustrialiser le pays avec les accords de libre-échange existants et la réglementation européenne ?
OK pour l’écologie de l’offre mais la droite fait mine d’ignorer complètement la réalité de la réglementation actuelle, qui interdit concrètement le mieux-disant social et environnemental.
Les quasi 100% de désindustrialisation depuis les années 90 sont dues à la réglementation commerciale européenne, qui institue le dumping social et environnemental. Les mélenchonistes et le RN en parlent, pas du tout la droite bourgeoise ni feu le PS. EELV en parle dans ses docs mais pas dans ses discours de campagne (en dehors de la taxe carbone aux frontières, qui est très réductrice).
Donc, comment faites-vous en termes programmatiques pour permettre la réindustrialisation durable du pays ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *