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Redistribuer la taxe carbone

Il faut rendre aux Français chaque euro de la taxe carbone. Celle-ci ne devrait en effet pas être un nouvel impôt, mais seulement un moyen pour réorienter l’économie. Faire ainsi permettrait de redonner du pouvoir d’achat aux Français et d’encourager la transition écologique. Bref, réconcilier les fins de mois avec la fin du monde.

Résumé

  1. La taxe carbone est probablement la mesure fiscale la plus importante pour lutter contre le changement climatique. Pourtant, elle est très mal perçue par la population française. Mal acceptée, elle est mal appliquée.
  2. La fonction de la taxe carbone n’est pas d’assurer des ressources supplémentaires à l’État, mais d’orienter l’activité économique. S’ils ne sont pas redistribués, les montants prélevés sont effectivement un impôt supplémentaire.
  3. Une manière de résoudre le problème de l’acceptabilité de la taxe consiste à rendre aux citoyens chaque euro de la taxe carbone. Cette mesure a été mise en place en Colombie Britannique avec un grand succès. Une alternative consiste à flécher une partie des revenus de cette taxe vers des projets liés au changement climatique.

Contexte

La taxe carbone (aussi appelée Contribution Climat-Énergie ou CCE) a été mise en place en France en 2014. Elle est le plus souvent dénommée composante carbone, car ce n’est pas une taxe spécifique, mais une composante des taxes intérieures de consommation (TIC) sur les combustibles fossiles, proportionnelle à leur contenu carbone. Son montant initial, 7 €/t de CO2 en 2014, devait être réévalué chaque année avec un objectif de 100 € en 2030. Mais le mouvement des Gilets Jaunes a amené le gouvernement à geler cette augmentation annuelle ; la taxe carbone reste depuis fixée à 44,60 €/t de CO2. La charge fiscale est de 2,7Md€. Le compte d’affectation spécial, où se retrouvait la CCE, a été supprimé et la recette est donc affectée au budget général.

Redistribuer

L’objectif de la taxe carbone est de construire une incitation économique pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et ainsi lutter contre le réchauffement climatique : c’est un signal prix. Il n’est pas, en soi, d’assurer de nouvelles recettes fiscales.

Redistribuer les fruits de cette taxe carbone présente ainsi trois avantages.

Le premier est de dissiper la méfiance populaire face à ce qui est perçu comme un nouvel impôt, et donc de favoriser l’acceptabilité du dispositif.

Le deuxième consiste à montrer que la lutte contre le changement climatique n’est pas synonyme d’impôts excessifs, et qu’elle peut même signifier une amélioration des revenus des plus faibles. En redistribuant du pouvoir d’achat grâce à la taxe carbone, on peut réconcilier les fins de mois avec la fin du monde.

Le troisième est d’amener une amélioration de la compétitivité de la France en diminuant les impôts des entreprises et des particuliers.

Ces arguments sont développés par des économistes dont Christian Gollier, économiste de l’Université de Dauphine et Collège de France.

L’exemple de la Colombie Britannique

La Colombie-Britannique a introduit sa taxe carbone en 2008, comme l’explique I4CE (Institute for Climate Economics). Elle couvrait environ 70 % des émissions de gaz à effet de serre de la province et s’appliquait à presque tous les combustibles fossiles achetés ou utilisés sur place. Sur l’année fiscale 2017-1018, elle a permis de collecter 1 milliard USD, environ 200 USD par personne.

Jusqu’en 2017, l’une des caractéristiques de cette taxe était la neutralité des prélèvements obligatoires : tous les revenus qu’elle a générés ont été redistribués aux entreprises et aux ménages sous formes de réductions d’autres taxes.

La loi prévoyait même que le non-respect de cette neutralité entraîne une réduction de 15 % du salaire du ministre des Finances ! L’opinion publique, initialement défavorable à la taxe carbone, s’y est progressivement ralliée.

Redistribution partielle

La Suisse a mis en place un dispositif similaire. Un tiers des revenus de la taxe carbone est consacré à la rénovation thermique des bâtiments. Les deux autres tiers des recettes sont redistribués aux ménages et aux entreprises. Les recettes prélevées sur les entreprises leurs sont retournées, en fonction de leur masse salariale, par leurs caisses d’assurance vieillesse, sous forme de déduction ou de versement. Les recettes prélevées sur les ménages sont redistribuées par le biais des assurances maladies. Chacun reçoit le même montant, indépendamment de son revenu. En 2018, chaque résident suisse a reçu 89 USD par le biais de ce rabais forfaitaire annuel.

L’Australie a réparti 40 % des recettes à un fond pour la transition ; le reste a été redistribué sous la forme d’un « Fonds d’aide aux ménages ».

Fléchage

Que la totalité ou qu’une partie seulement de la taxe carbone soit redistribuée, à chaque fois le message est clair : le dispositif doit bénéficier financièrement aux citoyens afin d’emporter leur adhésion. Si une partie n’est pas redistribuée, elle doit être fléchée de manière très claire vers une action concrète et visible. En France, un tel fléchage ou une affectation des ressources pourrait sembler contrevenir au principe d’universalité du budget. Il existe toutefois des moyens de mettre en place de tels mécanismes sans contrevenir à la LOLF.

Pour la partie redistribuée, diverses modalités peuvent être imaginées, vers les entreprises et les particuliers. On peut imaginer des dispositifs particulièrement dirigés vers les populations les plus défavorisées.

Redistribuer la totalité des fonds permettrait de construire un propos très fort sur la réduction des impôts et l’amélioration de la productivité du pays.

Cela porterait un message fort : l’écologie n’est pas un sacrifice supplémentaire que l’on demande aux citoyens ou aux entreprises mais un dispositif pour encourager les plus vertueux.

N’en redistribuer qu’une partie est beaucoup moins fort politiquement, mais permettrait d’aborder la question du financement de la transition.

Réduire les dépenses publiques

Pour être sincère, ce dispositif, qui représente un manque à gagner pour l’État, doit nécessairement correspondre à une réduction équivalent des dépenses publiques et s’inscrire dans une démarche associée de réduction de la dette publique.

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